Michel Guérin, "La Cause de la peinture"

Par cause se désignent à la fois, en vertu d’une assimilation de son et de sens, la chose picturale et la dignité qu’elle soutient. L’éloge raisonné de la peinture ne peut être que l’œuvre de sa propre vérité. Le plaidoyer pro pictura, venant du philosophe, ne vise pas d’abord à endiguer le flot d’arguments historicistes qui la condamnent ; il essaie surtout de donner force à l’idée que la peinture est l’art d’esquiver les contraintes qu’elle paraît un temps admettre : elle s’échappe dans ses avatars, respire par ses tensions, excède en puissance ses modes d’actualisation ; elle a des corps de rechange, une réserve, des ressources (essentiellement matérielles) – comme si, dans son cours, elle trompait la vigilance de la logique historiciste pour trouver refuge dans une autre mémoire, bien à elle, comme si, autrement dit, refusant de vieillir comme médium, elle s’arrangeait pour rester contemporaine de sa naissance, sempiternellement accordée au geste originel qui l’instaure en la fournissant d’une jouvence protéique.

Références : Michel Guérin, La Cause de la peinture, PUP.