CONFÉRENCE :
TIM INGOLD SURFACE TEXTURES: THE GROUND AND THE PAGE
(TEXTURES DE SURFACE : LE SOL ET LA PAGE)
* Conférence en Anglais

Les moines de l’Europe médiévale comparaient volontiers la pratique de la lecture contemplative à une itinérance au sein d’un paysage lointain. Les lignes inscrites à la main sur les parchemins leur semblaient comparables aux sillons et chemins creusés par les pas dans le paysage.
Page et sol sont tous deux des surfaces texturées. Ingold explorera, dans cette conférence inédite qui reprend le contenu d’un essai tout récemment publié, les propriétés « superficielles » ou de surface et d’interface du sol dans la mesure où il ne fait pas tant office de séparation entre ce qui est au-dessus de nous, le ciel, de ce qui est en dessous, la terre, qu’il ne constitue plutôt un espace de rencontre entre les deux. C’est ainsi que l’on pourrait dire que si le sol couvre la terre, il ne la dissimule pas. Citant John Ruskin, Ingold compare le sol à un voile de terre, avant de s’attacher à souligner le fait que la page assume un fonction similaire: sa texture est le texte; sa surface un voile. Poussant la métaphore un degré plus loin, Tim Ingold suggère que la page, à l’instar du sol, est sujette à l’influence, l’usure atmosphérique du temps. Ce qui lui permet d’appréhender l’écriture à un processus d’érosion, et de comparer la main de l’écrivain à un « agent atmosphérique ».

Tim Ingold :
Professeur d’anthropologie sociale à l’Université d’Aberdeen en Ecosse, Tim Ingold est l’un des figures les plus importantes de l’anthropologie contemporaine, mais aussi un chercheur situant son travail à la rencontre entre l’anthropologie, l’archéologie, l’art, la musique (Ingold est aussi violoncelliste) et l’architecture, comme autant de modes de connaissance directe et de description de notre environnement. En faisant ainsi appel aux sciences de la nature, à la phénoménologie ou à l’art, l’œuvre d’Ingold détient ce caractère d’hybridation et de tissage, pour reprendre un de ses termes qui a contribué à forger sa méthode en anthropologie. Selon Ingold, «faire de l’anthropologie», c’est en effet considérer cette discipline comme un art ou un artisanat, ou comme un geste (terme également ingoldien), à l’image du peintre qui incarne une relation respectueuse et intime avec ses outils et pour lequel observation et description sont indissociables.
Après la publication en français d’Une brève histoire des lignes (2011), ouvrage qui pose les fondements de ce que pourrait être une « anthropologie comparée de la ligne » – et, au-delà, une véritable anthropologie du graphisme, Marcher avec les dragons (2013), déploie une pensée originale délimitant les territoires de l’évolution biologique et culturelle, les environnements humains et non humains, les royaumes de la pensée et de l’action, et les discours rivaux de l’art et de la science. De la poétique de l’habiter à l’écologie du sensible, Tim Ingold plaide pour une réconciliation entre les projets de la science naturelle et ceux del’éthique environnementale, pour un retour aux sources de l’anthropologie. Son dernier livre traduit en français, Faire. Anthropologie, archéologie, art et architecture (2017), revient sur une question fondamentale pour l’art: pourquoi y a-t-il une telle dissociation de la pensée et de l’activité, de l’esprit et de la main ?
C’est justement que la main doit être repensée : repensée comme lieu de pensée justement mais déjà d’activité. Mais, la main, tant célébrée comme l’instrument ultime est-elle si utile aujourd’hui ? Là est l’enjeu beaucoup plus contemporain que soulève aussi cet essai, le monde est à portée de mains, nous dit-on, en un clic, en quelques touches que l’on pianote, et pourtant il nous glisse entre les doigts. Car que fait-on quand on pianote ainsi ? Est-ce que l’on façonne quelque chose ? Est-ce que l’on agit ? Dans la continuité, son travail actuel se construit autour de la question de la réécriture et du pa-limpseste. Tim Ingold nous invite ainsi non pas seulement à penser ces questions, mais aussi à façonner, à faire.
Image